La réflexion fut brève …et l'église du Pont de Vie fut retenue.
Sans projet précis, sans avis autorisés, l'équipe s'"attaqua" donc à la pauvre bâtisse.
Je décidais sans plus attendre de me rendre sur place avec Dumeige et son « bras droit » . Là j'assistais à un spectacle effroyable, indescriptible qu'on ne peut imaginer que par la force des photographies prises par mes soins ce même jour.
Préalablement à l'intervention de l’organisme, le chef du personnel communal, avait confié aux services techniques de la ville, sous la direction de l’un de ses subordonnés, la mission de "nettoyer" l'église. Le moins que l'on puisse dire est qu'aucun recoin n'avait été épargné.
A l’un des ces employés, auquel je demandais où étaient passés les bancs, les autels latéraux et autres éléments du mobilier ou du décor, je l'entendis, éberlué, me répondre " : Cela ne tenait plus débout, on a préféré tout brûler !" C’est la "manière CEAUCESCU" de traiter les monuments historiques !
Tandis que le « bras droit », le cigare aux lèvres, conservant son aplomb m'informait que les statues et "objets rares" avaient été placés en sécurité dans un lieu proche mis à la disposition de la ville par un agriculteur de Guerquesalles - en fait un bâtiment d'élevage ouvert à tous vents au beau milieu d'un champ - je constatais que le Maire de Vimoutiers restait interdit, de plus en plus déconcerté et blême.
L'intérieur de l'édifice valait l'extérieur. Non seulement les stagiaires, après avoir saccagé le dallage ancien, avaient coulé sur le sol un béton d'une quinzaine de centimètres de hauteur - "noyant" le pied du baptistère du XIe siècle - mais ils avaient de plus dessiné sur les murs des scènes osées qui auraient scandalisé les paroissiens du Pont de Vie s'ils avaient été témoins de ces dessins ...et même Brassens !
M'adressant au fameux « bras droit », je déclarais qu'il était de mon devoir d'informer les autorités départementales concernées des faits qui étaient en train de se passer au Pont-de-Vie.
Dans l'attente de directives de leur part, j'exigeais que le chantier soit suspendu. Cela me fut refusé par ce fonctionnaire zélé qui m’affirmait agir "en toute légalité".
Contactés dans le courant de l'après-midi, les responsables départementaux m'informèrent, comme je le redoutais, qu'ils n'avaient pas donné leur accord à l'ouverture du chantier.
Interrogé à ce sujet par mes soins, le secrétaire me déclara que les Bâtiments de France et la Conservation des Objets Mobiliers avaient été informés par lettre - rédigé par ses soins et signée par Dumeige - de l'intention de la ville de procéder à des travaux le 27 octobre.
N'ayant pas reçu de leur part d'avis contraire dans les quinze jours qui suivirent, celui-ci avait considéré qu'il était autorisé à entreprendre les travaux. C'est une façon de voir à sa manière les règlements !
Dans l'Eveil de Lisieux du 8 février 1996, Richard Mesnildrey précise que cet organisme avait été agréé le 21 septembre 1987 pour une "rénovation à l'identique" de l'église du Pont de Vie ( On croit rêver !).
Le chantier avait été ouvert le 9 novembre. Il s'agissait d'un stage de "préparation à l'emploi "Bâtiment"" par seize jeunes, âgés de seize à vingt-cinq ans qui n'avaient aucune connaissance du métier de maçon.
Le 1er décembre, Dumeige m'écrivait, pour tenter de se justifier…sous la plume de son secrétaire :
…Pour information, je vous prie de trouver sous ce pli la photocopie des correspondances adressées aux administrations compétentes avant le début du chantier du Pont-de-Vie. Je regrette que ces administrations ne se soient pas manifestées alors qu'une date de début de chantier était bien précisée…"
A l'architecte des Bâtiments de France, ce même jour, Dumeige écrivait ": Par courrier en date du 27 octobre 1987, je vous avais prévenu de l'ouverture du chantier concernant la restauration de l'église du Pont-de-Vie.
Je ne pensais pas que cette église était classée (!!!!!!) car au plan d'occupation des sols rien ne figure à ce sujet. Pourriez-vous me donner les références de ce classement ou de l'inscription à l'Inventaire Supplémentaire ? J'ai appris que vous êtes venu sur le chantier dans le courant de la semaine dernière. Je vous demanderais de me donner un compte rendu…"
Celui-ci, en effet, à ma demande, était venu sur place constater les dégâts. Je l'avais accompagné au Pont-de-Vie et il avait l'air très mécontent. Il a rédigé par la suite un rapport assez sévère sur les faits. J'ai pu consulter ce rapport en Mairie mais on ne m'en a pas donné de copie.
Interrogé en 1996 par Richard Mesnildrey pour l'Eveil de Lisieux, son successeur notait " :
Mon prédécesseur a été mis devant le fait accompli de travaux pour lesquels on ne lui avait pas demandé son avis…. Les travaux qui ont été menés sont tout à fait lamentables, comme je m'en étais ouvert au Maire de l'époque, lors de ma visite de l'église courant 1991. J'avais demandé une remise à plat du dossier et qu'une étude préalable soit faite par un architecte afin de faire un dossier de demande de subvention pour rattraper ce qui était rattrapable. Un architecte d'un cabinet local a commencé des relevés à la demande orale du Maire. Manifestement, cela ne s'est pas transcrit par une commande ferme. Il n'y a pas eu de travaux qui soient venus rattraper les regrettables errements qui ont pollué cette pauvre église."
Le 26 novembre, le conservateur départemental s'était également rendu sur place à ma demande..
Je la conduisis à Guerquesalles dans la ferme où étaient entreposés les objets, ou du moins une partie des objets provenant du Pont-de-Vie.
Dans son rapport, elle stigmatisait "le manque de respect de l'édifice".
Elle écrivait " : J'ai de fortes inquiétudes quant à l'ampleur des travaux engagés…Le pignon ouest a été abattu et la moitié se trouve en cours de remontage avec mortier en ciment, les enduits extérieurs ont été dégagés au Karcher, une dalle de béton est en cours de coulage laquelle devrait englober la base des piliers de la charpente et les fonds baptismaux en calcaire… En ce qui concerne le gros œuvre, qui relève de la compétence des Bâtiments de France, je ne puis que vous inciter vivement à prendre son attache afin d'engager, s'il est possible, les mesures qui permettront de sauvegarder les éléments architecturaux subsistant et qui constituaient jusqu'alors le charme de cet édifice. En ce qui concerne le mobilier, je ne je ne puis que regretter leur dépose partielle qui aurait été effectué dans de meilleures conditions si des relevés avaient été exécutés préalablement…"
A ma connaissance, malgré les graves manquements opérés par la ville de Vimoutiers en ce qui concerne la protection de l'humble sanctuaire du Pont-de-Vie , le présent rapport et les menaces proférées dans les lettres adressées au Maire précédemment aux faits, aucune suite officielle n'a été donnée à l'affaire, si ce n'est l'arrêt immédiat du chantier exigé par les deux responsables départementaux.
Interrogé en 1996 par Richard Mesnildrey de l'Eveil de Lisieux, le secrétaire général aura le culot d'affirmer " : il avait présenté un press-book concernant des travaux sur un chantier du même ordre qui concernait une ville prés de Falaise, si mes souvenirs sont bons mais l'affaire remonte à neuf ans maintenant. C'était un chantier intéressant à priori du fait que la ville avait à faire face financièrement à la réfection de la toiture de l'église Notre-Dame. Ce stage ne coûtait à la ville que le prix des matériaux. Le Maire et l'adjoint à la culture de l'époque "devaient" être au courant de ce chantier. C'est Gérard Roger qui a demandé de faire déposer les statues et le mobilier de l'église et qui n'a pas voulu qu'ils soient transférés dans un musée…( ?) (4) Le stage devait être poursuivi notamment pour refaire le dallage mais le chantier s'est révélé plus important et a entraîné l'intervention des bâtiments de France ( ?)Par ailleurs le stage s'est déroulé en hiver, dans des conditions difficiles, le maître de stage n'a peut-être pas su "tenir ses stagiaires…"
(4) J'ai en effet refusé que les objets soient envoyés au Musée d'Art Religieux de Sées comme le préconisait le conservateur départemental car je considérais qu'ils appartenaient au patrimoine local et que la population du Pont de Vie y était attachée
A l'occasion de ce long article intitulé "L'église du Pont-de-Vie réclame justice !" Richard Mesnildrey avait retrouvé et interrogé un jeune stagiaire vimonastérien qui avait dix-sept ans à l'époque des faits. Il lui avait raconté " : J'ai été recruté par la municipalité où j'avais déposé une demande pour faire un CES. Comme les autres stagiaires je n'y connaissais rien en maçonnerie. Nous suivions des cours théoriques au collège et sur le chantier, c'est Monsieur …… qui nous encadrait. Le stage a duré trois mois, après on nous avait dit que certains seraient repris pour poursuivre le chantier qui n'était pas achevé…Je n'ai jamais été recontacté. On a essayé de refaire le mur du cimetière. En cas d'intempérie, on travaillait à l'intérieur de l'église qui avait été vidée de son contenu. On a cassé le carrelage qu'on a entassé dans un coin pour faire la dalle en béton. Il était prévu de reposer ensuite le carrelage…"
Une entreprise de maçonnerie de Vimoutiers intervint très vite pour refaire le pignon de l'église qui avait cédé sous la pression de la dalle en ciment coulé par les jeunes. On referma ensuite la porte sur ce "massacre" qui, d'une manière irréparable, avait porté atteinte à l'intégrité, à la majesté de cet édifice presque millénaire.
En 1989, assistant à l'assemblée générale annuelle de la Société Historique de Vimoutiers qui se tenait au Renouard, j'intervins auprès du Président Maugendre, soutenu dans ma démarche par Patrice Samson, ancien Président, pour que soit publiquement dénoncée la manière dont s'était achevé le projet de restauration de l'église du Pont-de-Vie et dont s'était comporté un fonctionnaire territorial sortant de ses compétences ( Il est vrai qu'il en avait l'habitude !).
La motion ne fut pas retenue….
Je tentais une démarche auprès du Curé de Vimoutiers, sous l'autorité spirituelle duquel était placée l'église du Pont-de-Vie - Il était même rémunéré par la ville comme "gardien de l'église Saint-Denis". Ce dernier botta en touche et me fit aimablement comprendre qu'il n'entendait pas s'immiscer dans une question d'ordre purement "municipal".
Je tentais la même démarche auprès de l'Evêque qui me fit donner par son Vicaire Général, que je rencontrais à Sées, une réponse voisine de celle de notre curé.
Interrogé par Richard Mesnildrey en 1996, le Vicaire Général précisait " :
Ce dossier est un imbroglio, on hérite d'une situation difficile. Le diocèse n'a pas été informé de ces travaux. Je pense qu'à l'époque, le curé du lieu avait dû avoir quelques informations. L'église n'était plus utilisée depuis longtemps mais toujours consacrée. On peut considérer qu'elle était en voie de désaffection. J'ai appris qu'une association s'est créée dernièrement, ce qui signifie aussi que pendant des années, les habitants du quartier n'ont pas été avertis ou ne se sont pas trop préoccupés de cette affaire…"
Le 22 février 1990, Charles Hauton, fils de Monsieur Maurice Hauton dont il était question au début de ce texte, écrivit à Dumeige :
" C'est avec stupéfaction et avec effarement que je constate que depuis l'an dernier les travaux "prometteurs" de rénovation de la petite église du Pont-de-Vie n'ont pas vu le jour.
J'ai pu me rendre compte de ce fait plus particulièrement le jour des obsèques de mon père Maurice Hauton, au cimetière de cette église.
Ma tante, Madame Gouin, demeurant également au Pont-de-vie, m'a fait part d'un don qui a été fait par mon grand-père Gustave Hauton de deux statues, l'une de Sainte-Thérèse de Lisieux, l'autre de Notre-Dame de Lourdes.
J'aimerai bien savoir ce que sont devenues ces statues.
A la suite des dernières tempêtes, j'ai constaté également que l'énorme tilleul qui est face à l'entrée de l'église est bien menaçant et qu'il serait peut-être bon de faire le nécessaire avant qu'une catastrophe arrive.
En vous remerciant de l'attention que vous voudrez bien porter à ce courrier…"
Pas de réponse de la part de la Mairie.
Lettre de relance de Charles Hauton le 2 mai 1990 restée elle encore sans réponse.
Le 25 septembre, il écrit à Dumeige :
" Voici maintenant sept mois que je vous ai fait parvenir un courrier concernant la petite église du Pont-de-Vie.
Je ne sais pas pour quelle raison, je n'ai toujours pas de réponse de votre part, à mon courrier du 22 février, ni à ma relance du 2 mai 1990.
J'aimerais vous rappeler que l'église du Pont-de-Vie fait partie du patrimoine communal et qu'en aucun cas vous ne devez la laisser dans l'état où elle se trouve.
Sans vouloir être menaçant, si d'ici deux mois je ne peux pas obtenir une réponse de votre part, j'alerterai la Préfecture d'Alençon, le Conseil Régional de Normandie ainsi que le Conseil Général de l'Orne.
Je reste bien entendu à votre disposition pour une éventuelle entrevue…"
Les menaces paient puisque le 3 octobre, Charles Hauton reçoit un courrier du Maire…rédigé par son secrétaire . Le ton en est cependant assez arrogant :
" Cher Monsieur,
J'ai bien reçu vos courriers concernant l'église du Pont-de-Vie.
Je vous communique les adresses des différentes administrations que vous souhaitez alerter :
(….)
En matière de patrimoine communal, la ville de Vimoutiers le gère au mieux de ses possibilités financières, et le conseil municipal veille au maintien et à la préservation des sites ; c'est le cas de l'église du Pont-de-Vie.
Ainsi, après un programme d'investissement qui a permis la reprise des extérieurs, des sols et des clôtures, il est projeté sa rénovation intérieure.
Lors des travaux précités, l'ensemble des meubles a été entreposé dans un local loué par la ville afin d'éviter toutes dégradations dans l'attente de la restructuration intérieure. Cette restructuration ne se fera dés lors que les possibilités financières le permettront et que les subventions seront accordées…."
Lors de l'élection de Jean Gaulin à la Mairie de Vimoutiers en 1995, je demandais à l'un de mes amis, nouveau conseiller municipal et membre de la commission des affaires culturelles de reprendre ce dossier pour que les responsabilités dans cette affaire soient enfin établies et que les faits connus du public.
A SUIVRE …