Quand j’étais maire-adjoint à la culture, j’ai dirigé les travaux de restauration du char allemand « Tigre » que les bulldozers alliés avaient poussé dans le fossé de l’un des virages de la « Côte de Gacé » en août 1944 pour faciliter le passage de leurs troupes .
Cet ouvrage délicat a été rendu possible grâce à l’aide de Mr.Jean BLONDEAU et à ses engins de travaux publics et à Mr .Alain ROUDEIX qui connaissait fort bien ce type de « monstre ».
Le but de Jean DUMEIGE, qui était conseiller général-maire à l’époque et qui l’avait fait classé « Monument Historique » aux demandes de MM. DUFRESNE et FLORENTIN, était d’épargner ce dernier vestige de la Bataille de la Poche de Falaise et de le présenter au public sur un terre-plain aménagé spécialement.
Une fiche explicative me fut même demandée au prétexte que j’étais alors le Président de la SOCIETE HISTORIQUE DE VIMOUTIERS et que je connaissais ce genre d’engin (Cette fiche fut retirée dès que l’opprobre s’abbatit sur moi !)
Presque vingt ans plus tard, alors que je préparais un numéro spécial « Bataille de Normandie » pour Pays de Normandie, l’occasion me fut donnée de pénétrer dans le cimetière militaire allemand d’Evreux.
Je fus abasourdi de voir en ce lieu tous les soldats allemands qui étaient morts durant la dernière bataille de Normandie .
Au bout de quelque temps, le gardien ( qui était Belge) fut amadoué et me raconta la petite histoire de ce lieu de mémoire .
C’est ainsi que je me tracassais en particulier de la tombe de l’ancien chef de la Hitlerjugend qui avait tué à Caen et dont la sépulture était toujours fleuri .
« C’est le général Meyer qui vient y déposer des fleurs mais c’est aussi l’un de ses pilotes, le commandant du char « Tigre » de Vimoutiers … » me confia le gardien qui constata ma stupéfaction « si vous désirez, je peux vous donner son adresse … »
Dés le lendemain, je lui écrivis mon souhait était surtout de savoir comment s’était passée son histoire .
le pilote du "Tigre" de Vimoutiers |
Comment fut-il sauvé ?
Au lendemain de l’effroyable Bataille, les troupes blindées allemandes ayant échappé à l’encerclement dans la Poche d’ARGENTAN-TRUN-CHAMBOIS et reçu l’ordre de battre en retraite, se ruaient vers Vimoutiers en direction de la Seine. Eléments hétéroclites d’une VIIe Armée allemande en déroute, ils avaient pour dernière mission de retarder la poursuite alliée en obstruant les principaux axes routiers de matériels divers. (Le Maréchal ROMMEL avait tout préparé …)
C’est ainsi qu’à la sortie de Vimoutiers, en direction de Gacé, furent immobilisés, au milieu de la chaussée, 5 chars de combat tombés, pour la plupart, en panne de carburant dans la montée.
Abandonnés par leurs équipages, ils durent, dès le 22 août, poussés dans le fossé par les puissants bulldozers des alliés fonçant à travers la Normandie dans leur œuvre libératrice.
Il y avait là un PANZERKAMPFWAGEN III, deux PzKpfw IV et un « Tiger »type E.
Au lendemain de la guerre, tous les engins militaires jonchant le champ de bataille furent vendus aux enchères par l’Administration des Domaines à des ferrailleurs de la région. L’un d’eux fit l’acquisition des cinq chars et commença leur découpage. En raison des difficultés d’accès à l’endroit escarpé où l’avaient fait basculer les hommes du Génie de l’Armée anglo-canadienne, le « Tigre de Vimoutiers » fut épargné, tout du moins sa carcasse, le casseur ayant fait extraire du monstre le moteur et la boîte de vitesse.
Oublié, le blindé allait rester dans son « trou » pendant de longues années.
Pendant presque 30 ans, il fit, tel quel, partie du paysage, les automobilistes en provenance de Gacé ou de L’Aigle, découvrant brusquement, au sortir d’un virage, son impressionnant canon de 88 pointé sur eux tandis que les enfants de Vimoutiers - dont je faisais partie - moins apeurés par le fauve, se perchaient sur sa tourelle pour jouer à la guerre.
Dans les années 1960, avec le renouveau du tourisme en Normandie, le « Tigre de Vimoutiers » devint une halte obligée pour les visiteurs du champ de bataille d’août 1944.
Alors que les gens du pays considéraient désormais le tank comme faisant partie intégrante de leur environnement et de leur patrimoine, un événement inattendu allait se produire au début des années 1970.
Michel Dufresne, ancien combattant de la 2e DB, qui habitait une commune voisine de Vimoutiers et empruntait chaque jour la Nationale 179 au volant de sa voiture, constata un matin avec stupéfaction, que des ouvriers s’affairaient à l’aide de chalumeaux sur l’épaisse carapace du char. Apprenant que le nouveau propriétaire de l’engin avait décidé de réduire en pièces ce prestigieux vestige de la Bataille d’Argentan, il téléphona le jour même à l’écrivain Eddy Florentin, historien spécialiste des combats de la Poche de Falaise, pour lui demander d’intervenir en haut-lieu afin de faire cesser le massacre. L’auteur de « Stalingrad en Normandie » contacta immédiatement le Ministre de la Défense, le Maire de Vimoutiers et les ferrailleurs arrêtèrent immédiatement le découpage du « Tiger ».
La Mairie de Vimoutiers acheta ensuite le char et un an plus tard, en juillet 1975, la Société Historique de Vimoutiers, avec l’autorisation du conseil municipal et le concours précieux d’ Alain Roudeix et de Jean Blondeau, décidait d’extraire l’engin du fossé où il reposait depuis plus de trente ans pour le restaurer .
Déplacement de la tourelle en 1975 |
Il ne fallut pas moins de trois puissants engins de travaux publics,de type Scraper, pendant toute un après-midi d’octobre pluvieux pour sortir le tigre de sa tannière.
Parallèlement, je faisais instruire un dossier qui aboutissait rapidement à son classement comme « monument historique ».
Restauré par Alain Roudeix, éminent spécialiste du matériel militaire de la seconde guerre mondiale, le char était ensuite placé sur un terre-plein au cœur d’une aire de repos aménagée par la ville de Vimoutiers à destination des touristes. Il constitue aujourd’hui l’une des curiosités incontournables du département de l’Orne.
J’ai retrouvé le pilote du « Tigre de Vimoutiers »
J’ai fait la connaissance d’ Ekkehard Förster en 2002 à la suite d’une visite au cimetière militaire allemand de Saint-André-de-l’Eure, prés d’Evreux.
Je préparais à l’époque un « Guide des champs de bataille de Normandie en 1944 » et m’étais rendu en ce lieu où reposent 19.500 combattants allemands tombés, pour la plupart, sur le sol ornais en août 1944 dans le triangle Argentan-Trun et Chambois pour y rencontrer le gardien.
Au cours de la longue conversation à bâtons rompus que j’eus avec lui, celui-ci me montra fortuitement une photographie du « Tigre de Vimoutiers » en me confiant que son pilote venait chaque année, ou presque, se recueillir sur les tombes de ses anciens camarades tankistes tués au combat. Il accepta sans difficulté de me donner son adresse en Allemagne. J’étais éberlué par cette nouvelle.
Dés la semaine suivante, je lui écrivais une longue lettre à laquelle il me répondait sur le champ me relatant « sa » guerre et me confirmant que le char de Vimoutiers était bien le « sien ».
Bien qu’il n’ait fait l’objet d’aucune poursuite après la guerre, son rôle s’étant borné, disait-il, à combattre « loyalement » ses « adversaires » ( et non pas ses « ennemis » tenait-il à me préciser dans l’une de ses lettres) , Ekkehard Förster n’était pas un ancien combattant comme les autres, d’abord parce qu’il était Alsacien par sa mère, ensuite parce qu’il était pilote de char, en l’espèce du plus puissant engin blindé que les ingénieurs allemands n’avaient jamais conçu : le « Tigre ; enfin et surtout, parce qu’il appartenait aux Waffen SS, ce que l’on surnomma plus tard « les fauves du Führer ».
Il me raconta qu’il était entré à l’âge de 17 ans, en 1943, dans la Division SS « Adolph Hitler » qui était une sorte de garde personnel du chancelier allemand. Quelques mois plus tard il avait rejoint la 12e SS Division « Hitlerjügend ».
Le régiment de chars auquel il appartenait avait été constitué au champ de manœuvres de Mailly-Le-Camp en novembre 1943. Il était alors commandé par le Lieutenant-Colonel Max Wünsche.
Formés en Belgique, les jeunes tankistes devinrent très vite de redoutables combattants.
Au Printemps 1944, la « Hitlerjügend » était transférée en Normandie dans un secteur délimité par les villes d’Evreux, Bernay, Gacé et Dreux.
Lorsqu’eut lieu le débarquement allié, le 6 juin 1944, le poste de commandement de la division se situait dans la région de Verneuil-sur-Avre.
La division blindée fut immédiatement placée sous les ordres de Rommel et reçut comme mission de se rassembler dans les environs de Lisieux.
Quand vint l’heure du combat, les chars se regroupèrent à l’Ouest de Caen où eurent lieu les premières échauffourées avec les blindés canadiens.
A l’Abbaye d’Ardennes, sous le haut commandement de « Panzer Meyer », ils livrèrent un combat sans merci contre l’Armée britannique et firent barrage à l’avancée des troupes de Monty.
Ekkehard Förster se battit à Cagny, à Evrecy aux commandes de son puissant engin.
Le 11 juillet, la « Hitlerjügend » était relevée et se regroupait au Nord de Falaise.
Elle reprenait le combat une semaine plus tard pour tenter de contenir la pression anglo-canadienne. Avec une poignée de blindés, elle réussissait à détruire des dizaines de blindés alliés.
Le 18 août 1944, le « Tiger » d’Ekkehard Förster se trouve dans le chaudron de Falaise. Sur les quatre hommes qui forment l’équipage dont il est le chef, deux sont morts, le dernier quelques jours plus tôt.
Avec son conducteur, il décide, pour ne pas tomber aux mains des alliés, de traverser les lignes adverses malgré la mitraille et les mines.
Il enfonce donc les défenses anglo-canadiennes et fonce en direction de Vimoutiers.
A l’approche de la ville, il se dirige vers Saint-Germain ou Sainte-Foy-de-Montgommery et le 20 août fonce en direction du dépôt d’essence qui se trouve au château de l’Horloge, à Roiville, en passant par la « côte de Gacé ». Tombé en panne dans un virage, il abandonne son char, sans le détruire.
Ekkehard Förster se souvenait fort bien de ce moment qu’il m’a raconté dans l’une de ses lettres. « J’ai discuté avec des civils français qui se trouvaient là » me disait-il « Incapables de reconnaître nos uniformes noirs de tankistes, ils ne nous ont pas identifiés ni inquiétés quand nous sommes partis, à pied… »
Après un long périple, il réussit à rentrer en Allemagne.
A l’occasion du 60e anniversaire de la Bataille de Normandie, en 2004, Ekkehard Förster avait accepté de revenir en Normandie et nous avions convenu de nous rencontrer en août à Vimoutiers . Le sort en a voulu autrement ! Le 21 juillet 2004, quelques jours avant son départ pour la France, à l’âge de 78 ans, l’ancien pilote du « Tigre de Vimoutiers » était frappé par un infarctus et s’éteignait subitement.
Devenu un militant européen convaincu, il faisait partie de ces milliers d’anciens combattants allemands qui, à l’instar de leurs homologues français, la paix revenu, avaient dénoncé avec force l’absurdité de la guerre et invité les jeunes à s’en convaincre pour que les peuples de notre continent ne se déchirent plus....
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