Le « bon docteur Dentu » fut renié trois fois, à l’instar de Jésus par Pierre, qui devint - malgré cela - « le premier évêque de Rome » .(*)
Il fut abandonné d’abord en 1945 lorsque, malgré le travail accompli, il fut pour la première fois de sa vie vaincu aux élections municipales .
On dit alors que c’était en raison de son « grand âge ! »
Il fut une nouvelle fois sacrifié quand il mourut en 1954, dans l’indifférence générale , aux côtés de sa fille aînée, Marie-Thérèse ( qui décéda, elle-aussi, quelques jours plus tard ) passager de sa minuscule 4 CV Renault sur une petite route de la région.
Il fut enfin ignoré de tous, plus récemment, quand les édiles de Vimoutiers et de l’hôpital préférèrent, par méconnaissance ou par une jalousie morbide, proposer l’un des médecins d’Henri IV ( qui n’avait rien à faire de Vimoutiers et des vimonastériens … mais portait une particule ! ) pour baptiser le « nouvel » hôpital (1).
Comme ses trois filles (Geneviève, Elisabeth ( qui avait été clerc de Notaire) et Anne-Marie, (la plus jeune) il accepta son triste sort sans dire un mot . Il faut dire que jusqu’à leur retraite ces trois femmes vécurent dans un baraquement caché au fin fond des Prés-Gateaux . Ce bâtiment « provisoire » venu de Suède ou du Canada suite au bombardement de la cité, était insalubre et l’herbe poussait même sur le plancher mais les demoiselles Dentu étaient trop correctes et bien élevées pour se plaindre (2). L’un après l’autre, les maires de Vimoutiers les oublièrent et les dissimulèrent là.
Elles avaient face à elles la maison blanche (que l’on voit toujours et qui abrita longtemps les services administratifs de l’hôpital rural) et les jardins donnés par leur père pour construire le « nouvel » hôpital .
Il ne s’était pas enrichi ! … et pourtant, il avait occupé les plus hautes fonctions de tous les maires de Vimoutiers !
Quand elle déménagea enfin, Anne-Marie (3), qui avait été professeur de Lettres à l’Institution « La Providence » (4), me fit mandé pour contresigner le papier établi par la femme d’un artisan de Vimoutiers qui avait été nommée entre temps légataire.
Elle termina ses jours à l’Hôpital de Vimoutiers dans l’une des chambres de la Maison de Retraite.
Je peux affirmer que sa générosité n’avait pas de bornes puisque appelée à occuper un logement HLM elle fit don de ses deux plus beaux ( et derniers) meubles ( une armoire normande et un coffre sculpté) à l’office de tourisme (5).
Il y aura bientôt cinquante ans, dans des circonstances tragiques disparaissait le Docteur Georges Dentu.
Le temps, mais aussi le plus effroyable des drames qu’ait connu la ville de Vimoutiers, ont en partie effacé le souvenir de cette personnalité hors du commun qui, pendant trente-six ans, présida aux destinées de la cité augeronne et occupa, jusqu’à la dernière guerre, la plus haute situation politique du département de l’Orne.
Issu d’une famille modeste originaire de Firfol, dans le département du Calvados, en plein cœur du Pays d’Auge, Georges Dentu naquit à Lisieux le 2 octobre 1861 .
Alors qu’il était enfant de chœur à l’église Saint-Jacques, un prêtre remarqua sa vive intelligence et le fit entrer au petit séminaire.
Au terme de brillantes études secondaires, durant lesquelles il manifesta un grand intérêt pour les langues anciennes et la musique, il se rendit à Paris pour y faire sa médecine.
Ses parents étant dans l’impossibilité de lui venir en aide financièrement, il travailla durant tout le temps de ses études comme surveillant à mi-temps dans une institution religieuse.
Diplômé, il revint en Normandie et s’installa comme médecin généraliste à Bernay en 1887.
Quelques mois plus tard, il épousait Marie Leroy à Saint-Georges-en-Auge.
En 1888, il quittait le département de l’Eure et ouvrait un cabinet à Vimoutiers.
Ses qualités professionnelles et humaines, sa clairvoyance et son dynamisme lui attirèrent très vite la sympathie des Vimonastériens qui lui procurèrent une importante clientèle.
Très cultivé, aimant la lecture, la musique, la peinture, c’était un homme sociable, brillant et de bon sens.
Médecin des humbles, désintéressé, le Docteur Dentu « oubliait » bien souvent de faire payer ses honoraires et il lui arrivait même parfois de laisser discrètement à ses patients les plus démunis quelques sous sur la table pour acheter les médicaments prescrits.
Confronté aux difficultés de l’exercice de la médecine rurale à cette époque, le Docteur Dentu fut amené à expérimenter tous les moyens de locomotion à sa disposition : le cheval, tout d’abord, la bicyclette ensuite, le tricycle un moment, puis l’automobile.
Parmi ses clients figurait le Baron de Mackau. Celui-ci allait lui donner le virus de la politique et le lancer dans la vie publique.
Le premier contact avec la chose publique eut lieu lors des élections municipales qui suivirent son installation à Vimoutiers. Georges Dentu fut brillamment élu conseiller municipal puis, presque immédiatement, adjoint au Maire.
En 1909, à la suite du décès de Monsieur Védier, il devint Maire de Vimoutiers.
Se consacrant ardemment, autant que sa profession le lui permettait, à sa nouvelle mission, le Docteur Dentu fit preuve, durant ses trente-six années de mandat, pour reprendre les mots d’Augustin Gavin, d’un « autoritarisme éclairé » et d’un grand souci d’économie des deniers publics.
Dés ses premières années à la mairie, il donna un nouveau souffle à l’action municipale et entreprit de nombreuses modernisations.
En 1911, il conclut à des conditions très avantageuses pour Vimoutiers, un contrat de fourniture avec la Fusion des Gaz, une importante société qui s’engagea à changer toutes les canalisations de la ville et à améliorer l’éclairage.
En 1912, grâce à d’importantes subventions du Pari Mutuel, le Docteur Dentu décidait la construction d’un nouvel hospice.
N’ayant pas été mobilisé durant la Grande Guerre, il dut remplir avec courage ses lourdes obligations de Maire et, au plan professionnel, suppléer à l’absence de deux de ses confrères.
En 1919, Georges Dentu, qui avait été nommé Médecin-chef de l’hôpital, fit construire une salle d’isolement pour les aliénés et équipa l’établissement d’une buanderie moderne dotée d’un appareillage électrique.
Cette même année, il fit entrer au conseil municipal un jeune docteur en pharmacie, Augustin Gavin, pour lequel il avait beaucoup d’amitié et toute confiance.
En 1922, il entreprit dans d’excellentes conditions financières l’électrification de la ville. Les travaux s’achèveront en 1923.
En 1922 toujours, sur l’initiative de Monsieur Gavin, la traditionnelle Foire de Pâques, créée au XVIIIe siècle, devenait une foire exposition dans le cadre de laquelle était organisé un concours de cidres et de calvados sur échantillons.( Ce concours resta jusque dans les années 1960 le plus réputé du genre au plan national).
L’année suivante était réglée la délicate question de la distribution de l’eau à Vimoutiers.
En 1927, le Docteur Dentu négocia l’installation d’un nouveau service d’autocars reliant Vimoutiers à Lisieux, Caen, L’Aigle, Gacé et Argentan.
L’année suivante, grâce à une nouvelle aide du Pari Mutuel ( qui permit une nouvelle fois d’épargner les finances locales) Georges Dentu faisait construire un établissement de bains-douches et un service de consultation de nourrissons.
En 1936 était fondée une soupe des écoles qui, pour une somme modique, était ouverte à tous les enfants scolarisés.
La même année était lancée la construction d’un nouveau pont, rue du Perré, pour limiter les risques d’inondation en centre ville.
En 1938, il proposait la construction d’une école communale de filles mais, malheureusement, la guerre allait retarder l’exécution du projet.
Quand en 1939 éclata la seconde guerre mondiale, le Docteur Dentu était l’une des personnalités politiques les plus influentes de la région. En effet, élu Maire en 1909, il était devenu conseiller d’arrondissement en 1911 puis avait succédé en 1919 au Baron de Mackau au siège de conseiller général du canton de Vimoutiers. Quelque temps plus tard, lui revint le siège de Monsieur Fleury à la Présidence du Conseil Général de l’Orne. En 1927, il avait été élu Sénateur et en 1939 Secrétaire de la Haute Assemblée.
Rapporteur de la Loi Armbruster, qui garantissait l’exercice de la médecine en France, le Docteur Dentu se battit également pour l’instauration dans notre pays de la sécurité sociale.
Depuis son installation à Vimoutiers en 1888, la famille Dentu avait donné naissance à neuf enfants dont quatre filles, restées célibataires, survécurent .
Malgré ses nombreuses occupations publiques, le Docteur Dentu s’efforça de préserver sa vie familiale et son activité professionnelle.
Chaque mardi, il partait pour Paris et revenait à Vimoutiers le jeudi ou le vendredi.
La journée du lundi était consacrée aux consultations et le week-end à ses visites et à sa mairie où le secondait efficacement Augustin Gavin.
Lorsque la guerre éclata, Georges Dentu était âgé de 78 ans.
Durant toute la période des hostilités, il resta à Vimoutiers auprès de ses administrés, connaissant, pour la seconde fois, toutes les obligations réservées au maire en ces temps de crise. En tant que parlementaire, il refusa de se rendre à Bordeaux et, de ce fait, ne vota pas les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.
Le 14 juin 1944, il se trouvait à Vimoutiers, lorsque la ville fut bombardée par l’aviation américaine.
Depuis sa maison, miraculeusement épargnée par les bombes, il assista le cœur triste, impuissant, au massacre, à l’anéantissement de toute ce à quoi il s’était consacré depuis trente-cinq ans.
Le gouvernement provisoire de la République le nomma Membre du Comité de Libération En 1945, ayant été battu, il se retira discrètement de la vie publique tandis que Monsieur Gavin lui succédait à la mairie.
Trois ans plus tard, Madame Dentu disparaissait et, en 1954, sur une petite route des environs de Vimoutiers, le bon docteur était victime d’un accident de la route…
Il est enterré à Vimoutiers mais personne ne va fleurir sa sépulture…
(*) Je me suis emmêlé les pinceaux dans mes "restes" d'éducation chrétienne. J'ai pourtant fréquenté pendant plusieurs années l'ancien Petit Séminaire de Lisieux ...
(1) Avant 1944, l’hôpital se trouvait derrière l’hôtel de ville, sur les rives de La Vie.
(2) J’allais les voir tous les samedis et leur gaieté comme leur immense culture me ravissaient.
(3) Mes relations avec la cadette furent plus proches qu’avec ses sœurs. Elle fut mon archiviste pendant de nombreuses années. Comme son père, elle aimait la littérature et la peinture.
(4) Nous fûmes deux à nous prononcer contre la démolition de « la Providence ».
(5) Malgré ce qu’a affirmé cet artisan, ces meubles ont bien été donnés à l’office de tourisme. La preuve peut en être donnée.
PHOTO : LE SENATEUR DENTU
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