«…Voilà des années que les gnomes
de Bruxelles, sans mandat et sans contrôle, au mépris de l’idée même de
démocratie, ont troqué insensiblement l’idée européenne contre l’idée libérale.
Les peuples l’ont bien compris ; ce fut le sens du non français et néérlendais
au référendum de mai 2005 et sur la constitution européenne. Je me reprocherai
longtemps de ne pas l’avoir alors saisi.
On dira que le Traité de Rome
(1957) était déjà fondé sur l’idée de libre-échange à l’intérieur d’un marché
commun . Mais ce libre-échange n’avait rien à voir avec le déchaînement du
capitalisme sauvage qui, sous les couleurs du libéralisme, a submergé le monde
dans les années 80. Autrement dit, à la place de l’Europe volontariste, celle
de Jean Monnet mais aussi de De Gaulle, nous avons laissé se faire l’Europe de
Thatcher, c’est à dire une Non-Europe. L’élargissement progressif, voulu par
les Anglais, de six à vingt-sept membres n’avait dans leur esprit qu’un
objectif : noyer l’idée européenne dans l’idée libérale ;
paralyser toute volonté politique en Europe au profit des Etats-Unis
d’Amérique. Contre-eux, l’euro, voulu par Mitterrand et accepté par Kohl,
fut le dernier sursaut de l’esprit européen.
Depuis lors, l’Europe est une construction baroque et
schizophrène. L’euro supposait en effet un gouvernement économique en
Europe… »
« … Mais les
antimaastrichtiens – que je distingue soigneusement des antieuropéens –
auraient tort de se réjouir des inconséquences et des malheurs de l’Europe de
Bruxelles. A trop pousser leur avantage actuel, ils ne feraient que tirer les
marrons du feu au profit de Marine Le Pen, c’est à dire un mélange d’isolationnisme,
de nationalisme et de xénophobie. Il n’est que d’observer avec quelle
jubilation celle-là, à chaque débat télévisé auquel elle participe, fait son
marché auprès des antimaastrichtiens de gauche, et avec quelles difficultés
ceux-ci tentent de se défaire de cette embarrassante connivence.
Alors que faire ?
Faire une croix sur les querelles idéologiques du passé, sortir de la
confusion actuelle et reprendre la construction européenne là où elle fut
abandonnée à l’aube du libéralisme trompant. C’est ce que propose Claude
Allègre dans un essai vigoureux et convaincant, dont je partage l’esprit et les
conclusions. Cela suppose que la Commission de Bruxelles renonce définitivement
à l’idée de l’Europe nation au profit de l’Europe des nations, c’est à dire à
toute tentation d’intégration subreptice contre la volonté des Etats. L’Europe
de demain ne sera pas supranationale mais internationale… »Extraits de l'éditorial de Jacques JUILLARD dans l'hebdomadaire "Marianne" N° 753
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